Nos étoiles contraires (John Green)
LITTERATURE
« Dans ce monde, ce n’est pas nous qui choisissons si on nous fait du mal ou non, en revanche on peut choisir qui nous fait du mal. J’aime mes choix. »
Un autre livre qui met en scène la rencontre avec la maladie et la mort. Après un enfant dans Oscar et la dame rose et un adulte dans La Belle aux oranges, place aux adolescents, dans un roman, étonnamment, plein de vie et de fraîcheur.
Cet article est la onzième fenêtre de mon calendrier de l’Avent littéraire. Chaque jour du 1er au 25 décembre 2021, je partage avec vous un livre qui m’est cher: je vous en lis un de mes passages préférés et vous raconte en quelques mots l’histoire de ce livre et mon histoire avec lui.
Augustus aimerait bien assister à ses propres obsèques. Mais ne sachant pas si cela sera possible « en tant que fantôme« , il décide d’organiser de son vivant une cérémonie de « préfunérailles ». Voici l’éloge funèbre qu’Hazel prononce à cette occasion.
John Green, Nos étoiles contraires, Nathan 2013, p. 273-274. Traduction: Catherine Gibert
Nos étoiles contraires (The fault in our stars) de John Green est un des rares livres que j’ai lus en 2014. Cette année-là, je prépare mes examens du brevet d’avocat, et l’essentiel de la prose que je lis est celle du Tribunal fédéral, dont j’avale des centaines et des centaines de pages de jurisprudence. Une prose dense et aride, qui ne me laisse que peu d’appétit, le soir venu, pour goûter à d’autres lectures.
Je fais toutefois une exception pour ce livre, qui raconte l’histoire d’amitié et d’amour entre deux adolescents atteints du cancer. Un sujet qui ne paraît pas s’imposer d’emblée comme le choix évident pour se changer les idées après de longues journées d’étude dans le silence pesant de la bibliothèque de droit. Et pourtant…
Et pourtant ce livre a été une véritable bouffée de fraîcheur. Hazel, la narratrice, a 16 ans et est atteinte d’un cancer inéluctable à la thyroïde. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’humour et d’autodérision. Dès les premières pages, on se prend à sourire, à rire à ses réflexions. Ou devrais-je dire, on se surprend à sourire, à rire, tant la réaction paraît inhabituelle devant une page où apparaissent les mots cancer, rémission, métastases. Non seulement inhabituelle mais aussi incongrue, inconvenante. La maladie ne commande-t-elle pas gravité et tristesse ?
Cela me fait penser à un souvenir que relate David Servan-Schreiber dans son livre Anticancer. Quelques jours après la séance de scanner qui a révélé sa tumeur au cerveau, Servan-Schreiber déjeune avec sa compagne et son frère. En sortant du restaurant où ils ont mangé, ils sont pris d’un fou rire à l’évocation de vieux souvenirs. C’est à ce moment qu’il croise le physicien qui a réalisé son scanner:
Je [l’] ai vu traverser la rue (…) l’air à la fois lugubre et interloqué, avec même une nuance de désapprobation dans les yeux. Son expression disait on ne peut plus clairement: « comment peut-on être plié en deux de rire quand on vient d’apprendre une telle nouvelle ? » J’ai compris, avec consternation, qu’aux yeux de la plupart des gens il était déplacé de rigoler quand on souffrait d’une maladie grave. Toute la journée, toute ma vie, on allait me regarder comme une personne condamnée à disparaître à brève échéance.
David Servan-Schreiber, Anticancer, Robert Laffont 2010, p. 59.
Nos étoiles contraires prend le contrepied de ce regard habituel. Et c’est sa force. Il montre des personnages qui s’autorisent à rire, même s’ils sont atteints d’une maladie incurable. Qui s’autorisent à vivre, même s’ils vont mourir. (Ce qui, dit comme ça, paraît un choix plutôt sensé, étant donné que c’est le lot de tous les vivants que de mourir un jour).
Le confrontation des personnages avec leur mortalité ne se fait pas pour autant sans heurt, ni blessure. Ils sont en proie aux mêmes questions existentielles qu’Oscar dans Oscar et la dame rose ou Jan Olav dans La Belle aux oranges. Hazel s’interroge en particulier si, dans sa situation, elle est vraiment en droit de s’attacher à des personnes. Avec son cancer comme épée de Damoclès, elle se sent comme une bombe à retardement pour ses proches. N’est-il pas en son devoir de minimiser les dommages collatéraux qu’elle causera au moment de l’explosion ? Quant à Augustus Water, le garçon qu’Hazel rencontre un groupe de soutien pour malades du cancer, son angoisse est presque inverse: il craint l’oubli. Il craint de mourir avant d’avoir eu le temps d’accomplir quelque chose qui le rendrait immortel dans l’esprit de ceux qui lui survivront.
A première vue, le titre original anglais, The fault in our stars (la faute dans nos étoiles) semble affirmer l’emprise de la fatalité et de la destinée sur nos vies. Mais cette interprétation est mise en doute lorsqu’on y regarde de plus près. Ce titre vient d’une réplique de la pièce Jules César de Shakespeare (qui est d’ailleurs citée par un personnage du livre):
Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles.
Shakespeare, Jules César, Acte I, scène 2.
On voit que, dans cette réplique, Shakespeare ne rend pas la fatalité responsable de nos malheurs. Au contraire, la faute serait en nous, non en nos étoiles. Si on tourne la chose positivement, on pourrait dire que nous sommes plus puissants que nos étoiles. Et c’est cette puissance que célèbre Nos étoiles contraires. Le pouvoir qui nous appartient de faire un pied de nez à la destinée, de danser sur sa corde raide. A l’image des « cigarettes métaphoriques » que fume Augustus – des cigarettes qu’il glisse entre ses lèvres mais sans jamais les allumer, comme il l’explique à Hazel:
C’est une sorte de métaphore. Tu glisses le truc qui tue entre tes lèvres, mais tu ne lui donnes pas le pouvoir de te tuer.