La Belle aux oranges (Jostein Gaarder)

Jostein Gaarder La Belle aux oranges

LITTERATURE


« Mon père est mort il y a onze ans, je n’avais alors que quatre ans. Je ne pensais pas avoir de nouveau de ses nouvelles, mais aujourd’hui nous écrivons un livre ensemble. »

Calendrier de l'Avent 8 décembre

Cet article est la huitième fenêtre de mon calendrier de l’Avent littéraire. Chaque jour du 1er au 25 décembre 2021, je partage avec vous un livre qui m’est cher: je vous en lis un de mes passages préférés et vous raconte en quelques mots l’histoire de ce livre et mon histoire avec lui.

Le livre d’aujourd’hui a beaucoup en commun avec Oscar et la dame rose, que je vous présentais hier. Aujourd’hui aussi, il va être question d’un malade en phase terminale. Et de lettres. Et de philosophie.

Jostein Gaarder, La Belle aux oranges, Seuil 2003, p. 180-181. Traduction: Céline Romand-Monnier

En regardant ma sélection de livres pour ce calendrier de l’Avent, je m’aperçois que pas moins de quatre d’entre eux mettent en scène des personnages gravement malades. Je ne m’en étais pas rendu compte. Sans doute que la confrontation avec une mort prochaine représente un riche potentiel dramatique et un contexte favorable à des questionnements existentiels. Comme la guerre dans Le pont invisible ou Autant en emporte le vent, la maladie agit comme un puissant catalyseur de l’évolution des protagonistes.

J’ai lu La Belle aux oranges de Jostein Gaarder à 17 ans. Je crois qu’il s’agit d’une de mes premières lectures qui posait directement de telles questions existentielles. Des questions qui faisaient écho à celles que je commençais à me poser moi-même à cet âge-là. C’est sans doute pour cette raison que cette lecture m’avait autant marqué.

Georg a 15 ans. Un jour, ses grands-parents retrouvent, cachée dans la doublure de sa vieille poussette, une lettre qui lui est destinée et qui lui a été écrite par son père, Jan Olav. Un père décédé d’un cancer onze ans auparavant, alors que Georg n’avait que quatre ans, et dont il ne garde que très peu de souvenirs. C’est autant pour que son fils puisse le connaître un jour que pour lui dire adieu, que Jan s’était mis en tête, peu avant sa mort annoncée, de lui écrire cette longue lettre. Le livre est constituée de cette lettre, entremêlée des réactions de Georg à sa lecture.

Cette situation m’accroche aussitôt, moi qui suis fasciné par les possibilités d’adresser une parole à travers le temps, comme je l’écrivais déjà à propos d’une autre lettre, Note à mon moi de sixième primaire. A la différence de la nouvelle de Julie Orringer, la lettre est ici tournée vers le futur et destinée à quelqu’un d’autre que soi-même. Mais la magie d’une parole qui défie les lois du temps opère de la même. manière. Jan lui-même semble partager cet émerveillement :

« Je trouvais curieux de m’imaginer que tu lirais [cette lettre] peut-être un jour. Le temps, Georg. Qu’est-ce que le temps ?« 

Une fois commencé, il m’a été impossible de poser ce livre, tant son histoire m’a tenu en haleine. Jan raconte en effet à son fils le mystère de celle qu’il appelle « la belle aux oranges »: alors qu’il est étudiant à Oslo, il aperçoit un jour une jeune femme chargée d’oranges dans un bus. La rencontre dure à peine quelques minutes, mas elle suffit à Jan pour tomber éperdument amoureux d’elle. Il n’a aucune information sur elle, mais il se jure de la retrouver, et se met à sa recherche, dans les rues d’Oslo. Une quête qui le mènera jusqu’à Séville.

C’est cette même quête qui l’amènera, au terme de la lettre, et au terme de sa vie, à formuler les questionnements philosophiques que j’évoquais plus haut. Car l’auteur du livre, Jostein Gaarder, est professeur de philosophie. Et il est l’auteur du mondialement connu Monde de Sophie, ce livre qui présente, sous la forme d’un roman d’aventures, les réponses des grandes figures de l’histoire de la philosophie à deux questions essentielles: « Qui sommes-nous ? » et « D’où vient le monde?« .

Dans La Belle aux Oranges, la question que se pose Jan, au crépuscule de sa vie, est toutefois autre. Il imagine la situation dans laquelle une puissance supérieure, il y a plusieurs milliards d’années, lui aurait donné le choix de vivre un jour une vie humaine sur la Terre. Il s’interroge:

Aurais-je choisi de vivre une vie sur Terre si j’avais pertinemment su que j’en serais soudain arraché, peut-être même au beau milieu de l’ivresse du bonheur ? Ou aurais-je dès le départ décliné cette proposition de participer à ce jeu à perdre haleine de « je donne et puis je reprends » ?

Jan pense qu’il aurait refusé:

Je crois que j’aurais refusé d’accepter les conditions. Peut-être aurais-je poliment refusé toute cette proposition de visiter ce grand conte de fées, puisque la visite devait être courte (….) Parfois c’est pour nous autres les êtres humains, pire de perdre une chaise aimée que de ne jamais l’avoir possédée.

Jan ne partage donc pas la vision d’Oscar sur la vie, dans le passage que je vous lisais d’Oscar et la dame rose. Ils se retrouvent pourtant tous deux dans la même situation: tous deux vont mourir, et tous deux écrivent des lettres afin de se sentir moins seul. (Mais Jan a à peine trente ans – un enfant à côté d’Oscar qui en a cent quand il se penche sur la question, et qui peut donc y réfléchir en puisant dans la sagesse de toute une vie).

Mais plus que sa propre réponse, ce qui importe véritablement à Jan est la réponse que son fils donnera à cette même question. Car c’est le but ultime de sa lettre: partager ce dilemme avec son fils et lui demander d’y répondre à son tour. De la réponse de Georg dépend une forme de salut ou de condamnation pour Jan. Si Georg répond qu’il aurait lui aussi refusé la vie, Jan se sentira alors coupable d’avoir participé à le mettre au monde. Mais si en revanche Georg aurait choisi de vivre et accepté les règles du jeu, tout change alors:

« Alors je n’ai au fond pas le droit de souhaiter n’être jamais né. (…) C’est bien sûr ce que j’espère. C’est pour cela que j’écris.« 

Quelle va être la réponse de Georg ?

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