L’Eventail de Séville (Paul-Jacques Bonzon)

Paul-Jacques Bonzon L'éventail de Séville

LITTERATURE


« C’était l’heure où Séville, après sa longue sieste à l’abri d’un soleil de feu, poussait portes et volets pour renaître à la vie. »

Calendrier de l'Avent 19 décembre

Cet article est la dix-neuvième fenêtre de mon calendrier de l’Avent littéraire. Chaque jour du 1er au 25 décembre 2021, je partage avec vous un livre qui m’est cher: je vous en lis un de mes passages préférés et vous raconte en quelques mots l’histoire de ce livre et mon histoire avec lui.

Après deux livres sur l’enfance, Le Petit Prince et Fifi Brindacier, je ne pouvais pas manquer de mentionner un livre et un auteur qui ont marqué la mienne.

Le début du livre.

Paul-Jacques Bonzon, L’Eventail de Séville, Hachette 1958, p. 7-8.

Ma carrière de lecteur a commencé quand j’étais enfant. Et c’est sans doute alors qu’elle a été la plus intense. Deux auteurs, deux séries ont régné sur mes lectures: Enid Blyton et son Club des Cinq, et Paul-Jacques Bonzon et ses Six Compagnons. Les stars des Bibliothèques rose et verte.

Les premiers livres que j’ai lus d’eux étaient hérités de ma mère. De vieux et robustes livres, à l’épaisse couverture cartonnée et à la bonne odeur de papier. Je croche tout de suite à la lecture des aventures de ces amis, qui passent leurs vacances à résoudre des mystères et vivre des aventures. Quant à moi, c’est en leur compagnie que je passe une bonne partie de mes loisirs. Car les deux séries sont prolifiques: plus de 40 livres du Club des Cinq et encore plus des Six Compagnons. Je me mets bien sûr en tête de les lire tous.

Mais la tâche n’est pas simple – c’était évidemment avant qu’internet ne se soit installé dans nos vies. D’abord, il faut identifier tous les titres existants Pour cela, je dresse une liste, en me basant sur le « Du même auteur » qui figure au début de chaque livre. Une rubrique qui varie bien sûr à chaque livre, selon sa date d’édition, de sorte que chaque nouvelle lecture me permet de mettre à jour ma liste.

Ensuite, trouver ces livres. C’est alors que je fais une découverte incroyable: les commandes en librairie. Il me paraît relever de la magie que je puisse dise un titre à la dame de la librairie, qu’il lui suffise de passe un coup de fil et que quelques semaines plus tard le livre soit là. J’imagine un entrepôt dans une contrée lointaine, tel le coffre-fort de Picsou ou la chocolaterie de Willy Wonka. Rempli de livre, qui n’attendent que d’être lus par moi. (C’était l’époque où la librairie La Liseuse occupait encore un local exigu, qui ressemblait à une véritable caverne d’Ali Baba, avec chaque espace occupé par des piles et des piles de livres).

Hélas, beaucoup des titres que je cherche ne sont plus édités, et bien souvent, ma libraire revient bredouille de son appel à l’entrepôt magique. Je la remercie quand-même et fais une note sur ma liste. C’est que le Club des cinq n’est plus vraiment à la mode. C’est le moment où c’est plutôt la série Chaire de poule de R. L. Stine qui cartonne auprès de mes camarades de classe. Je me rappelle avoir lu alors un article de presse (dans l’Hebdo je crois), qui parlait du succès de cette série et qui écrivait qu’il fallait bien avouer que « le Club des cinq, avec ses sandales et ses mystères, faisaient bien tarte à côté« . Je me rappelle encore des mots exacts, tant je m’étais senti offensé par eux. Je ne voyais d’ailleurs vraiment pas ce que les sandales venaient faire là-dedans…

Mais qu’à cela ne tienne, je ne me décourage pas pour autant d’arriver au bout de ma liste. Il me reste les bibliothèques, et surtout les foires aux livres, les magasins de seconde main. Quelle n’est pas ma joie quand, dans une caisse d’un stand de la Fête du livre de St-Pierre-de-Clages ou sur une étager d’un magasin Emmaüs, je tombe soudain sur un titre que je cherche depuis longtemps. J’ai l’impression d’avoir trouvé un trésor. Et de voler le vendeur qui me le cède pour un franc seulement.

Comme avec toutes les histoires, c’est rarement de la fin dont je me souvient le plus. Je ne saurais dire si je suis finalement arrivé au bout de ma liste. Je crois que oui. Mais la joie est dans le chemin. Et ce chemin a égayé mon enfance et m’a définitivement donné le virus de ma lecture.

Le livre que j’ai choisi pour ce calendrier de l’Avent, L’Eventail de Séville, n’appartient toutefois ni à la collection du Club des Cinq, ni à celle des Six Compagnons. Mais il est de l’auteur de cette dernière, Paul-Jacques Bonzon. Et c’est sans doute le livre dont la recherche m’a donné le plus de fil à retordre.

Comme beaucoup d’autres, je vois un jour apparaître un jour son titre dans la rubrique « du même auteur » au début d’un livre. Mais celui-ci est accompagnés de la mention: « Grand prix du Salon de l’Enfance 1958« . J’y suis très sensible. Je n’ai évidemment jamais entendu parler de ce prix, mais il paraît prestigieux. S’il l’a gagné, le livre doit donc vraiment être exceptionnel. Il faut à tout prix que je mette la main dessus.

Longtemps, il me reste introuvable. Introuvable en librairie. Introuvable en bibliothèque. Introuvable en foire. Mais cela ne m’étonne guère. Qui possédant un tel trésor, serait assez fou pour vouloir s’en débarrasser ? L’échec de ma quête ne fait que confirmer la valeur du livre. Et mon besoin de le trouver. Nourri par son seul titre, par ces quatre mots « L’Eventail de Séville« , je fantasme mille et une choses. Séville devient évidemment pour moi la plus belle ville au monde.

J’ai fini par le trouver, mais si je suis, là aussi, incapable de me rappeler dans quelles circonstances.

J’ai fini par le lire, mais je ne garde qu’un souvenir très vague de ma lecture. Je me souviens seulement que mon attente n’a pas été déçue. Je me souviens de sa fin, qui m’a fait pleurer (peut-être une des premières fois que cela m’arrive en lisant un livre – mais pas la dernière !). Je me souviens qu’il m’a donné follement envie de voir Séville. Je me souviens qu’il m’a donné envie de goûter l’horchata, cette boisson espagnole que vend Pablo, le héros du livre.

Bien que j’aie passé depuis lors une semaine en Andalousie, je n’ai encore jamais vu Séville. La ville était trop loin de notre camp de base. En revanche, j’ai goûté à l’horchata. Non pas en Espagne mais dans un bar de la ville de Gand en Belgique. C’était il y a trois ans. J’y étais en compagnie de Massimo Furlan et Claire de Ribaupierre pour présenter le spectacle Concours européen de la chanson philosophique au théâtre NTGent. Lorsque j’ai vu la boisson sur la carte, mon coeur a fait un bond. J’ai découvert ainsi pour la première fois le délicieux goût de cette boisson. En même temps j’avais l’impression de croquer dans une madeleine de Proust.

J’ai hésité à relire ce livre pour ce calendrier. Je ne l’ai pas fait finalement. Ce n’était pas encore le moment. J’aurais eu l’impression de manquer à ma promesse. Quand j’étais enfant, j’ai en effet décidé qu’un jour, quand je serais vieux, très vieux, je relirais tous ces livres. Le jour où serai tellement vieux que je ne pourrais plus quitter mon appartement ou ma chambre du foyer pour personne âgée, je retrouverai mes amis du Club des Cinq et des Six Compagnons, et je repartirais dans les aventures que nous avions vécues ensemble. Le jour où j’aurais atteint l’hiver de ma vie, je retrouverais mon enfance.

Je me disais que j’aurais ainsi accès à une source de joie, aussi difficile ma vie puisse-t-elle être à ce moment-là. Car comme Oscar l’écrit à Dieu :

Plus on vieillit plus faut faire preuve de goût pour apprécier la vie. On doit devenir raffiné, artiste. N’importe quel crétin peut jouir de la vie à dix ou vingt ans. Mais à cent, quand on ne peut plus bouger, faut user de son intelligence.


Eric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose

Et surtout, je pourrais par ce biais me retrouver moi-même. J’avais le sentiment, enfant, d’être au plus proche de ce qui comptait pour moi, de ce que j’étais. Et je craignait que la vie ne finisse par m’en éloigner. Comment pourrais-je savoir si je m’égarais sur la route ? Comment pourrais-je retrouver mon chemin ? Il faudrait que j’aie une boussole. C’est ce que seraient ces livres. Comme un lettre envoyée à mon moi futur. Comme le petit prince que l’aviateur rencontre alors qu’il est perdu au milieu du désert.

Le simple fait de savoir que ces livres seraient toujours là pour me divertir et me guider m’apparaissait comme une force merveilleuse. Comme pour Tommy et Annika de savoir que Fifi Brindacier seraient toujours à la Ville Drôlederepos:

Les étoiles brillaient au-dessus de la villa Drôlederepos. Fifi se trouvait à l’intérieur. Elle y resterait pour toujours. C’était formidable de penser que les années passeraient, mais Tommy et Annika ne grandiraient pas. (…) IIs reviendraient toujours à la villa Drôlederepos. Oui, c’était une merveilleuse consolation : Fifi serait toujours à la villa Drôlederepos.


Astrid Lindgren, Fifi Brindacier

Ma consolation à moi m’attend. Non pas dans la villa Drôlederepos, mais dans le grenier de ma maison d’enfance.

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