Je m’appelle Budo (Matthew Dicks)

Matthew Dicks Je m'appelle Budo

LITTERATURE


« Pour un ami imaginaire, j’ai de la chance. Je suis là depuis plus longtemps que la plupart. »

Calendrier de l'Avent 23 décembre

Cet article est la vingt-troisième fenêtre de mon calendrier de l’Avent littéraire. Chaque jour du 1er au 25 décembre 2021, je partage avec vous un livre qui m’est cher: je vous en lis un de mes passages préférés et vous raconte en quelques mots l’histoire de ce livre et mon histoire avec lui.

Matthew Dicks, Je m’appelle Budo, Flammarion 2013, p. 7. Traduction: Marie Hermet

L’amitié est au coeur de nombreux livres de ce calendrier de l’Avent. L’amitié entre un garçon de la ville et un garçon de la montagne dans Les Huit Montagnes. L’amitié entre un jeune étudiant et ses proches à travers les méandres de la Deuxième Guerre mondiale dans Le pont invisible. L’amitié entre un enfant malade du cancer et une vieille dame dans Oscar et la dame rose. L’amitié qui unit des camarades d’université à travers les années dans Une vie comme les autres. L’amitié au sein d’une bande d’enfants liés par la terreur et leur détermination d’y mettre fin dans Ça. L’amitié exaltée et romantique entre deux adolescents dans L’ami retrouvé et La lettre de Conrad. L’amitié d’un enfant avec un renard, une rose et un aviateur dans Le Petit Prince. Et finalement aujourd’hui: l’amitié entre un enfant et son ami… imaginaire!

C’est en effet ce que raconte Je m’appelle Budo de Matthew Dicks. Le titre original anglais est un peu plus parlant que sa traduction: Memoirs of an Imaginary Friend (Les mémoires d’un ami imaginaire. J’avoue ne pas comprendre pourquoi les éditeurs de traductions choisissent parfois, sans raison apparente, de s’écarter du titre original). Cet ami imaginaire, c’est le Budo du titre français. Il est l’ami imaginaire de Max, un enfant de huit ans qui présente des signes d’autisme. Et c’est Budo qui raconte cette histoire. Son histoire, car ce récit constitue ses mémoires.

L’idée de Matthew Dicks de donner la voix à un ami imaginaire est ingénieuse. Elle fait naître un livre qui ne ressemble à rien d’autre que j’aie pu lire. La voix de son héros va droit au coeur, tant elle est juste, sincère et authentique. Et n’est-ce pas un sacré tour de force que d’être arrivé à donner une voix authentique… à un être imaginaire ?

Pardon, je devrais plutôt écrire un être soi-disant imaginaire. Car Budo conteste fermement son caractère imaginaire. Et il tient à la préciser d’emblée, dès la première page du livre:

Les parents de Max m’appellent un ami imaginaire.

Je ne suis pas imaginaire.

Pas imaginaire, comment ça ? Budo s’explique:

J’ai peut-être besoin de l’imagination de Max pour exister, mais je suis capable aussi d’avoir mes pensées, mes idées et ma vie en dehors de lui. Je suis lié à Max comme un astronaute est lié par des tubes et des câbles à sa navette spatiale. Si la navette explose, et que l’astronaute meurt, ça ne veut pas dire qu’il était imaginaire. C’est seulement que ce qui le maintenait en vie a disparu. Pour Max et moi, c’est pareil.

L’argument est imparable. On ne peut qu’acquiescer. Mais même si elle n’est pas imaginaire, la vie d’un ami « imaginaire » est loin d’être facile.

Tout d’abord, elle est souvent très courte, puisqu’elle ne dure qu’aussi longtemps que l’ami humain croit en elle. Avec ses cinq ans, Budo compte parmi les plus chanceux.

Pour un ami imaginaire, j’ai de la chance. Je suis là depuis plus longtemps que la plupart. J’ai connu un ami imaginaire qui s’appelait Philippe. (…) Il a duré moins d’une semaine. Un beau jour, il est venu au monde, l’air assez humain si ce n’est son absence d’oreilles (beaucoup d’amis imaginaires n’ont pas d’oreilles), et quelques jours plus tard, il n’était déjà plus là.

Ensuite, la vie des amis imaginaires peut s’avérer un cauchemar pratique, en fonction de l’imagination de leur ami humain. C’est elle en effet qui détermine ce à quoi ils ressemblent et ce qu’ils sont capables de faire. Ici encore, Budo s’en tire à très bon compte.

Max est un garçon très créatif, et donc j’ai deux bras, deux jambes et un visage. Je n’ai aucune partie du corps qui manque, ce qui fait de mois un phénomène rare dans le monde des amis imaginaires. La plupart manquent d’une chose ou d’une autre et certains n’ont même pas l’air humain. (…) Certains ne sont rien de plus qu’une tache sur un mur, comme Chomp. Mais grâce à Max, je peux me déplacer tout seul.

La vie d’un ami imaginaire est aussi très solitaire. Un ami imaginaire peut voir et entendre tous les êtres humains, mais il ne peut être vu et entendu que de son ami humain. Un ami imaginaire n’a pas de parents. Personne pour faire son éducation, lui apprendre qui il est, lui expliquer le monde et comment fonctionnent les choses. S’il existe pour aider son ami humain, il n’a lui en revanche personne pour l’aider. Pour calmer ses peurs. Il doit tout apprendre par lui-même. Il doit prendre soin de lui-même. Et compter sur la bienveillance d’autres amis imaginaires plus expérimentés pour lui donner quelques explications, quelques conseils. Car les amis imaginaires, eux, peuvent se voir et communiquer entre eux. C’est une consolation. Et un drame d’autant plus grand lorsque ces camarades disparaissent soudainement car leur ami humain a cessé de croire en eux.

Quand je suis né, j’essayais d’obtenir l’attention des gens comme la mère et le père de Max, parce que je ne savais pas qu’ils ne pouvaient pas m’entendre. Je pensais qu’ils m’ignoraient simplement. Je me rappelle d’un soir où Max et sa maman étaient sortis et où j’étais resté à la maison avec son père. (…) J’ai hurlé tout le temps. Je pensais que si je criais suffisamment longtemps, il finirait au moins par me regarder et me dire de me taire. (…) Mais il continuait à regarder le match de base-ball comme si je n’étais pas là. (…) Soudain j’ai réalisé qu’il serait impossible pour le père de Max d’entendre l’homme à la télévision parce que je hurlais tellement fort, droit dans son oreille. C’est alors que j’ai compris que personne d’autre que Max ne pouvait m’entendre.

Enfin, la vie d’un ami imaginaire, celle du Budo en particulier, est une crise existentielle continue. Un dilemme de tous les instants. Considérez plutôt: Budo est l’ami de Max. C’est sa raison d’être. En tant qu’ami, il souhaite bien sûr le meilleur pour Max. Et souhaiter le meilleur pour Max implique en particulier de vouloir que ses troubles autistiques s’améliorent. Mais si ceux-ci devaient s’alléger, Max risquerait fort de ne plus avoir autant besoin d’un ami imaginaire. Il risquerait de ne plus avoir besoin de Budo pour lui tenir compagnie ou pour recevoir ses confidences. Il se mettrait à penser moins souvent à lui. Peu à peu, il pourrait même cesser de croire en lui. Et alors Budo cesserait immédiatement d’exister. Budo mourrait.

Or, comme tous les êtres, Budo veut vivre. Il craint la mort. Et ayant largement dépassé l’espérance de vie des amis imaginaires, cette peur le hante de plus en plus. Le seul moyen pour Budo de calmer sa peur est de se rendre nécessaire pour Max. Sa seule garantie de survie est de s’assurer que Max reste dépendant de lui. Mais une telle pensée fait honte à l’ami qu’il est… Le problème lui paraît insoluble. Budo se sent perpétuellement tiraillé et cela le rend triste.

Budo ne va toutefois guère avoir le temps de se morfondre. Car il va arriver quelque chose à Max. Quelque chose de grave, qui dépasse tout ce que Budo a connu. Et qui semble largement dépasser ses capacités de lui prêter secours. S’il veut venir en aide à son ami, Budo va devoir faire preuve d’imagination, de détermination et de courage. Surtout, il va devoir affronter son déchirement intérieur. Affronter sa mortalité. Et finalement faire un choix. Entre sa vie et celle de Max. Entre son amitié pour lui et son propre bonheur.

Et je me tiens au milieu de ces deux parties de moi. Coincé comme Max. J’aimerais nous sauver tous deux, mais je ne sais pas si je peux y arriver. Je ne sais pas quelle part de Max j’ai le droit de perdre afin de me sauver moi-même.

C’est ce voyage que Budo raconte dans ses mémoires. Des mémoires d’une sincérité désarmante et dont la lecture m’a tellement touché. Même si Maxi cesse un jour de croire en Budo, je ne suis pour ma part pas prêt de l’oublier. Et avec moi sans doute, beaucoup d’autres lecteurs. Peut-être est-ce une consolation pour Budo ?

Quoi qu’il arrive, je ne pense pas que quiconque se rappellera de moi quand je disparaîtrai. Ce sera comme si je n’avais jamais été là. Il n’y aura aucune preuve que j’aie jamais existé. Quand Graham était en train de disparaître, elle a dit que le seule chose qui la rendait triste était qu’elle ne verrait pas Meghan grandir. Si je disparaissais, je serais triste de ne pas pouvoir voir Max grandir, mais je serais aussi triste de ne pas me voir grandir. Sauf qu’on ne peut pas être triste si on disparaît, parce que les personnes disparues ne peuvent pas ressentir de tristesse. Elles peuvent seulement être commémorées ou oubliées.

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